Jean-Claude Bourdet

L’histoire de Pierre. Chap.2

Chapitre deux

Retour de congés en Espagne. Barcelone est une garce ! je cherche Zafón, sa bibliothèque oubliée dans L’ombre du vent. Poussière tout n’est que poussière, nous errons dans les rues animées perdus dans une nostalgie enfantine.

Je suis allé à Valence, enfant, je devais avoir 9 ou 10 ans. Nous étions dans un palace, en centre-ville, mes parents instituteurs modestes citoyens français n’auraient jamais pu nous offrir ce luxe chez nous. Ils avaient vécu des années heureuses au Maroc dans une ville portuaire aux poteries bleues.

Nous avons assisté à une corrida, plus tard à Malaga. Je me plais à imaginer, aujourd’hui, que nous étions peut-être assis non loin de Picasso !

« L’air est accablé, le sol saturé se plisse sous la chape de chaleur. Le contour, comme une vibration trouble la vision. La gorge sèche se crispe. Une épaisseur inonde la lumière qui s’écoule dans l’espace clos. Silence. Seuls quelques grains de poussière suspendus dessinent des colonnes de cristaux. Le rythme de la foule enveloppe la masse immobile. Le sol tremble, s’oppose à la courbe sombre soumise au souffle du fil qui se dresse. L’éclair reste en mémoire. A nouveau le rythme, ondulant cette fois, s’écrase contre les parois de bois et de béton. Le geste fier, l’homme de lumière tend un bras de vainqueur. »

Mais quand ai-je pu écrire ça, de quel coin de mon cerveau d’alors cela est-il sorti ?

Il en est ainsi. Le registre de la mort se décline en vers dégradés. Sans luxe, sans effort. La solitude étreint l’homme.

J’ai encore rêvé, un long travelling sur ma situation avec dans le rôle du méchant un homme, il fait rempart entre mon amie et moi. A un moment nous nous déplaçons le long d’une avenue dévastée aux immeubles éventrés, en ruine, des enfants s’engouffrent dans l’un, une horde en haillons comme ceux des bidonvilles dans Slumdog le millionnaire. Ensuite je suis à la table de Y assis à discuter mais je suis absent, psychiquement je suis avec Elle. Le rêve est très clair, œdipien à souhait, tous les instants sont propices à un rapprochement avec Elle mais à aucun moment nous n’y arrivons.

Je connais des secrets sur A, j’en connais aussi concernant B. J’imagine quels secrets peut connaître C sur moi ? Comment se fait-il que je connaisse ces secrets, je ne les recherches pas, je côtoie plusieurs mondes qui ne se connaissent pas nécessairement, c’est comme ça. Les gens ont confiance en moi, en général ils ont raison, mais parfois je suis tenté de jouer du pouvoir que cela me donne. Alors je raconte un secret sans délivrer le nom de celui ou de celle qui est concerné, c’est angoissant, enivrant, un peu méchant aussi.

Un matin de mars, mes pas m’ont mené jusqu’au bord de la Dordogne elle coule en aplomb de La falaise de Pinsac poème que Gilles Jallet écrit lors d’une marche endeuillée. Je ne sais si c’est l’effort de la course ou le repos prés de ce fleuve ; je dis fleuve, car pour moi c’en est un, majestueux de surcroit ; mais c’est à La ligne de Pierre Bergougnioux que j’ai pensé. La brume de ce matin ensoleillé, les reflets argentés de l’eau, le silence, et soudain, un couple de col vert qui s’envole à ma gauche, à dix mètres, pour se poser en face sur l’autre rive. Ce sont des plis de l’eau que Bergougnioux fait naître la reine de la rivière. A y penser c’est étrange, l’eau est longtemps restée pour moi l’obstacle, ce qui m’empêchait de voir ou d’attraper le poisson aux reflets argentés. L’eau était l’élément hostile, dangereux, indomptable dont il fallait se méfier au risque de s’y perdre à jamais.

-Ce matin je cuisine, seul, rempli d’elle qui ne viendra pas, un sauté d’agneau aux noix et aux pennes rigates que je servirai mardi avec une salade de roquette. Dominique Blanc pense à La douleur, de Marguerite Duras, elle sera sur la scène du TNBA tout à l’heure.

Des Visages des figures, Noir Désir. Un matin de printemps 2009. La douleur était dans le cœur dur de Duras. Dominique Blanc a eu un cœur dur, une heure et demi de cœur dur. Elle a exhalé la mort et la folie avant de la vomir pour libérer l’emprise. Applaudissements nourris, standing ovation. Lumière.

Ils avaient fait l’amour, tendrement, sauvagement, en grande dépense de corps, d’humeurs, de suaves senteurs. Leurs corps exaltés s’étaient retrouvés aspirés dans une spirale de jouissance. Rassasiés, ils s’étaient séparés.

Humilié, l’enfant de neuf ans découvre la permanence et la complexité des corps et des âmes, il voit la matérialisation des deux poissons au fil du temps immémorial de sa rage.

Diana Krall, I get along without you very well. Ce matin j’essaie de travailler, c’est facile, les mots coulent comme de l’or fin. Ce sera un beau texte. Les filles dorment, je ne les ai pas entendues rentrer, hier soir.

Nina est morte, elle avait onze ans, petite Cairn Terrier malicieuse et rebelle, elle partait en courant lorsque, jeune chienne, je l’appelais sur la plage de Carcans. Un cancer du foie l’a emportée en quinze jours ! Elle me manque, je l’appelle parfois. C. y a vu un symbole de la mort de notre union. Je ne sais quoi en penser. Où plus sincèrement, je me refuse d’y voir ce là. Plus tard peut être. Quand le temps aura fait son œuvre.

J’ai éprouvé, en regardant, mes sentinelles, les quatre pins qui se trouvent face à la terrasse de la maison de Maubuisson, j’ai éprouvé, donc, ce dont parle Freud dans Passagèreté, il raconte qu’un poète de ses amis qu’il ne nomme pas, n’arrive pas à jouir de la beauté du paysage dans lequel ils se déplacent en raison de son caractère éphémère. J’étais bien, face à une forme de beauté, de calme et de volupté ! Mais je pensais qu’il me faudrait rentrer bientôt et ça gâchait un peu mon bonheur, quoique ! L’absente, en creux, en vide, me manque. Le matin, les pins dessinent des parcelles de ciel scintillantes. Il y a un rosier sur la terrasse des voisins. L’encre dessine des arabesques dans le sable déserté de mon humeur.

La rose offre des méandres de tendre incertitude. Elle peut se voiler, prendre la forme d’une brume de perle. Sa peau délicate pénètre profondément l’oreille attentive au murmure d’une langue de soie.

Encore un extrait de Météore de À. Du Bouchet qui éclot dans ma mémoire :

« L’absence qui me tient lieu de souffle recommence à tomber sur les papiers comme de la neige. La nuit apparaît. J’écris aussi loin possible de moi. »

J’ai rencontré un psychanalyste hier soir, il essaie d’écrire une conférence, je me suis retrouvé dans ses paroles.

« En écrivant sur la passion d’une patiente j’ai cru m’éloigner de moi, trouver une figure qui m’aiderait à créer une aire de jeu, un lieu externe, dans quelque square, avec des balançoires, du sable. Mais, que dire, en relisant, ce matin de Mai, je vois, comme dans un miroir, une image cruelle, de ma souffrance. J’écris en citant, plusieurs fois André Green, que je déteste. Je me demande si ce n’est pas pour donner à l’auditoire auquel s’adressera cette conférence, une occasion de le critiquer !  »

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