Jean-Claude Bourdet

L’histoire de Pierre. Chap.1

Chapitre premier

Voici une semaine que la pièce était terminée, j’avais travaillé sans relâche pendant trois mois pour l’achever dans les temps, le ciel chargé de nuages gris annonçait l’orage, je l’attendais serein, à l’abri, ce serait un succès, j’en était certain, la lune allait venir, éclairer comme tous les soirs la maison de bois, nous nous installerons sur la terrasse avec Muriel, en silence, elle caressera ma main, nous aimons ces soirées qui s’étirent dans la douceur de l’été, dans la forêt, pas très loin du lac, bientôt il faudrait aller à Paris, le texte partira par internet mais je veux en parler avec B., il va la monter dans le petit théâtre acheté dans le marais, le public a pris l’habitude de venir, on se retrouve entre amis, après la représentation, autour d’un verre de Bordeaux.     

Comme prévu le public a été au rendez-vous. L’automne est passé, l’hiver a jeté son long silence ensommeillé sur la ville.                  

A la période des vœux, j’ai toujours lutté contre les conventions et là je me retrouve séduit par le souvenir des cartes reçues par mes grands-parents. Elles étaient écrites en lignes cursives dans un français impeccable, ils recevaient ainsi des nouvelles de parents éloignés qu’ils ne voyaient que rarement. L’écriture régulière, appliquée légèrement penchée à gauche était très touchante.

La ville est enveloppée d’un lourd manteau d’humidité qui pénètre les vêtements chauds. Elle bruisse et semble tenter tous les soirs de soulever ses habits encombrants pour en dévoiler quelque charme secret. Les rues, malgré le froid, sont toujours animées par une jeunesse joyeuse et insouciante.

-Depuis longtemps j’étais partagé entre des sentiments contradictoires. 

La relation avec Muriel m’avait laissé dans un désarroi terrible. 

Je me souvenais de notre rencontre intimement liée à l’écriture et au divorce. Elle me laissait, depuis notre rupture, une cicatrice que le temps avait apaisé. 

J’avais beaucoup écrit à cette période tourmentée, des poèmes, de la prose, des nouvelles qui étaient maintenant en attente. Aucun éditeur sérieux n’en avait voulu. Les compliments étaient pourtant agréables et aimables. Mais les lignes éditoriales ne croisaient pas mon style. Le contenu ne trouvait pas de voie pour s’écouler en dehors de quelques lectures chez des amis ou dans des soirées d’artistes.

Le vif de la rencontre était resté comme l’exploration d’un nouveau continent plein de sensualité et de saveurs sucré-salé. la sensibilité de sa langue était en soi une source de plaisir primitif. Langue dure incisive qui allait droit au cœur, flèche sidérante, impérieuse. 

L’union des corps les laissaient sans souffle, parfois sans jouissance, la vitalité du désir s’atténuait dans ce maelström de débordements, de mouvements, d’odeurs suaves. 

En écrivant, je change souvent de mode de narration, comme pour mettre de la distance entre les différents moi qui me constituent. 

Un autre moi s’empare alors du clavier et s’échappe, devient autonome. 

Le narrateur s’adresse au rédacteur qui devient un étranger. Il peut alors lui raconter ce qu’il a vécu il y a déjà quelques années.

« Il parlait parfois de sa frustration, mais par allusion, erreur certainement impardonnable pour la sensibilité exacerbée de la jeune femme. Ce matin, vide, après une nuit de solitude qu’il connaissait bien maintenant, elle lui avait écrit un mail très direct qui parlait d’eux, de lui, d’elle. L’affection des débuts semblait évanouie elle n’utilisait plus les formules habituelles qui jusqu’alors le remplissait de bonheur. Elle se détachait pensait-il, moment plus difficile ou évolution plus profonde, comment être sûr.

Les choses sont souvent très simples, évidentes mêmes. Il suffit de poser le regard sur l’instant où elles peuvent basculer, alors, un léger balancement d’épaule, un sourcil qui se lève, un coin de lèvre qui se plisse et la vie s’évanouit, là, en un instant. 

Certains croient que tout ça a été préparé, lentement couvé dans quelque profondeur, d’autres pensent que tout est déjà là et qu’il faut savoir saisir les signes qui se présentent. »

Qui sait vraiment et quelle importance ? 

En écoutant Période Bleue de Jane Birkin, convalescent, je mesure la vanité de mes attentes. Je viens de regarder Conte de Noel d’Arnaud Desplechin, j’en parlerai plus tard. La voix fragile et pourtant si ferme de Jane me touche toujours très profondément. Quand j’ai pris la décision de changer ma vie, j’écoutais Arabesque dans la voiture, lorsque le violon venait les larmes montaient, elles brouillaient ma vue sans me bouleverser ; comme des compagnes un peu encombrantes je les laissais tacher le col de ma chemise.

Il n’y a pas d’action, l’immobilité de Bergougnioux, de l’écrivain, vient heurter de plein fouet le mouvement du cinéaste. A-t-il écrit assis, je ne crois pas. Robert Redfort a dû écrire debout Et au milieu coule une rivière. Il ne peut pas en être autrement. Il aurait aimé La ligne de Pierre Bergougnioux : A moins que les rivières sous le soir qui tombe, la terre géante qui s’apprête au repos, l’éternelle matière ne soient elles-mêmes en peine de la capacité qu’on a de se représenter tout ce que l’on n’est point.

Ce matin, trempé-de-sueur-cauchemar, j’essaie de lire Légendes d’automnes de J. Harrisson. 

C’est difficile car le visage de Brad Pitt, il incarne Tristan à l’écran, s’impose dès qu’il entre en scène dans la nouvelle. Je suis triste, déçu par l’homme qui se réveille dans la plainte d’une vie tiède qu’il a lui-même contribué à construite.

J’avais rencontré des monstruosités humaines si déconcertantes que je croyais être à l’abri de nouvelles surprises. 

Le libraire désabusé qui m’avait initié à la littérature s’était pendu dans sa librairie un matin, c’est sa stagiaire qui l’avait trouvé. Il avait laissé en guise d’adieu une courte lettre typographiée : « A Dieu ne plaise de voler ces livres pendant mon éternel sommeil ! » La pauvre stagiaire était restée deux jours prostrés, depuis elle vendait des boites de conserve pour animaux domestiques dans une grande surface. 

Combien d’épaves flamboyantes restent sur des rives ravagées.

Mais les choses simples n’ont pas de fin.

Une philosophie patiente de la vie s’impose naturellement aux acteurs qui investissent un rôle. Chacun a sa manière, son style, sa méthode.

Jean avait la sienne, il appliquait à chaque geste de sa vie d’acteur une règle très simple. Connaitre un domaine limité mais très précis. Il pouvait ainsi jouer le commentateur sportif dans quelques domaines restreints, le rugby, le tennis qu’il pratiquait avec application. Il connaissait, ayant une bonne mémoire, l’histoire sportive de chaque champion, la lecture de l’Équipe, source inépuisable de son savoir, l’occupait des après-midis entiers.

J’ai rêvé : dans une voiture deux femmes, l’une avait les traits d’une amie, l’autre d’une inconnue, elles me parlaient et se parlaient, d’amitié, d’amour. A un moment celle qui était mon amie, que j’avais aimé sans qu’elle ne réponde à cet amour déclaré, disait sa duplicité, sa possibilité d’avoir plusieurs amants, pendant qu’elle parlait je voyais défiler les situations où j’avais essayé de la séduire alors qu’elle se refusait, instantanément je me repliais intérieurement, je m’éloignais, j’étais maintenant dans un lieu secret, je la voyais s’effondrer en larmes, je restais impassible mais le cœur affolé, j’essayais de lire sans y parvenir, c’est la Bible qui finissait par m’arriver dans les mains, je cherchais le chapitre sur l’apocalypse.

Ce rêve qui me réveille. J’essaie de lire. Je relis dans une anthologie de poésie de langue française que je viens d’acquérir, édité par Seghers, un poème de Jacques Goorma, « A nouveau ». 

J’ai mis Jane Birkin, elle atteint une grâce que sa voix effleure dans Enfants d’hiver.

Philippe Djian parle. Il parle, parle encore. Il écrit, il parle. Est-ce un écrivain ? Je l’ai lu il y a longtemps puis je l’ai laissé. Je l’ai écouté, je n’ai pas aimé son ton, son style, pourtant il parlait bien de l’effort qu’écrire était pour lui, mais en parlait-il ? Quel était ce personnage : Philippe Djian qui parlait sur un plateau télé dans une émission littéraire sur la Cinq un dimanche de février 2009 d’un livre que je ne lirais pas ?

Aujourd’hui, samedi je traine dans l’appartement en écoutant Lou Reed, Transformer.

Je vais aller chez Renée tout à l’heure, peut-être Muriel m’y rejoindra. Muriel est mariée, c’est une reine perdue qui rentre tous les soirs dans une petite chambre, dans son palais à l’autre bout de la ville.

J’ai lu quelques poèmes très beaux et très violents de Federico Garcia Lorca, hier soir, extraits de « Poète à New York » dans Poésies III chez Gallimard. Époustouflant cette force et cette liberté dans l’écriture. Ce regard sans complaisance, chirurgical, comme on dit maintenant des frappes aériennes. J’ai entendu cette expression pour la première fois lors de la première guerre d’Irak, faite par le père de Georges Bush en 90. Je regardais, comme tout le monde, les images de Bagdad éclairées par les flammes et les trajectoires luminescentes des roquettes et des obus perforants à l’uranium appauvri utilisés pour la première fois lors de ce conflit.

Les poètes sont en première ligne, Bagdad pleure sa richesse et son rayonnement ; les twin tours de NY se sont effondrées dans un fracas d’image, de feu, de poussière, de morts déchiquetés ; Lorca où est tu ? Néruda où est tu ? Qui va déchiffrer ce monde chancelant qui bascule dans le vide des cracks financiers. 

Pourtant des milliers de bourgeons fleurissent au printemps remplis de la sève de l’amitié, de l’amour, de la solidarité active, de la tendresse. 

Combien faudra-t-il de chardons venimeux, de corps mutilés, d’enfants sacrifiés, pour satisfaire la gueule béante du capitalisme ravagé par l’avidité de son cynisme destructeur.

Jeff Beck, Blow by Blow, les notes coulent comme de l’acide sans frein, le liquide caustique réchauffe mes veines encrassées par une soirée bien commencée. Ensuite tout se détraque. 

Cause We’ve Ended As Lovers, M.F.S. dit « Triste Soirée De Novembre. » 

Dans ce poème j’ai pleuré, avec la guitare de Jeff Beck, la mort d’une ancienne petite amie.

Je n’ai pas peur de la mort ; je n’ai pas envie de ne plus vivre. 

L’art est un tour de passe-passe génial. Prenez une boîte à chaussure Hermes, remplissez-la de crottes de bique Corse séchée, vous avez une bombe sexuelle.  Soyons sérieux, j’observe le regard bleu glacé de Pinaud lorsqu’il s’allume devant un immense ours jaune avec une drôle de lampe sur le front en guise de casquette. 

J’ai aimé ce reportage de la Cinq, le propos de cet homme manifestement pressé qui déambule au milieu d’œuvres contemporaines majeures.

 L’air qui s’empare des lointains nous laisse vivants derrière lui écrit André Du Bouchet, Dans la chaleur vacante.

L’infidélité comme art de vivre, je n’y crois pas. L’infidélité comme tentative désespérée de se libérer d’une emprise me parait plus juste. L’amour vient à coup sûr compliquer tout ça.

Engeance, race, lignée, descendance, embarras.

Comme à chaque fois que je pars en voyage, l’écrit reste là, en attente, en souffrance

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